I
La caverne s’ouvrait vers l’ouest et la vallée, qui s’étendait au-dessous d’elle, était enclose par des collines aux courbes douces. La forêt couvrait la côte lointaine, descendait dans les vallons, et ses houles vertes venaient, comme une mer lente aux murmures divers, battre la paroi rocheuse où l’homme quaternaire et sa famille gîtaient.
Les rayons du soleil descendant pénétraient obliquement dans la grotte et l’éclairaient jusqu’au fond. La horde humaine, une famille des premiers sédentaires, – après avoir peiné comme le carnassier pour sa nourriture et celle de ses petits, – se reposait dans des travaux paisibles où l’intelligence agissait. Des chasseurs calculaient l’équilibre que devait avoir, par rapport à sa masse terminale, le manche d’une arme de jet ; des ouvriers patients, par petits coups légers et méticuleux, taillaient dans le silex les belles haches régulières, les flèches fines jusqu’à être translucides, les lances aux lignes hardies pareilles aux feuilles du glaïeul. Des femmes assemblaient, avec le désir que leur forme ne ressemblât plus à celles de la bête, les fourrures et les toisons qui préserveraient toute la horde du froid des nuits et de la saison mauvaise. Des jeunes filles, des adolescents s’ingéniaient à combiner, pour leur parure, des colliers faits avec des coquilles, avec les dents des fauves massacrés, avec des plumes que liaient des crins aux tressages compliqués. Des enfants jouaient avec des branchettes ou des os fourchus, auxquels ils attribuaient des actions d’hommes et d’animaux.
Une grande paix enveloppait ces êtres ; la lumière, l’atmosphère, la roche et la sylve semblaient leur être propices.
Tout au bord de la caverne, dans une alvéole qu’une roche éboulée séparait de la salle vaste où la tribu était assemblée, Dankar, immobile, les yeux grands ouverts sur l’espace de ciel et de forêt, regardait au-dedans de soi-même. Il avait un poinçon entre les doigts ; d’autres se mêlaient, sur la pierre plate où il s’accoudait, à plusieurs fragments de défenses de mammouth taillés en tablettes courtes. Sur trois ou quatre de ces tablettes se voyaient des signes qui décrivaient la figure et les attitudes des bêtes. Dankar regardait, dans sa mémoire, s’agiter, courir, bondir, s’arrêter, pâturer les bêtes herbivores au milieu desquelles l’homme vivait sans crainte. Il cherchait, avec application, à démêler, parmi ces apparences nombreuses dont le mouvement est fait, l’apparence qui les représenterait toutes, et laisserait à ces formes que son poinçon creusait dans l’ivoire l’aspect de la vie.
Quand il avait commencé à créer ces simulacres des animaux dont la mort assurait l’existence de l’homme, Dankar s’était émerveillé que tous les membres de la tribu, les petits enfants mêmes, les reconnussent et les saluassent de rires heureux. Il avait eu, pendant un temps, l’orgueil tranquille de sa science. Puis, alors que la horde continuait à l’admirer par toutes sortes de cris et de gestes, il s’était peu à peu senti mécontent, humilié, tourmenté. À force d’observer les formes, il avait surpris la vie. Elle lui apparaissait maintenant tellement inséparable de la forme animale qu’il rêvait de la transporter aussi dans ses images. Il se désespérait de n’y point parvenir. Il avait reconnu que la bête tuée, tombée sur le sol comme une fourrure vide, ne ressemble en rien, dans ses contours, à ce que fut la bête vivante ; et voici que ses gravures, rendant immobiles comme la mort des silhouettes d’animaux dressés sur leurs jambes, lui semblaient dénués de sens. Elles n’exprimaient ni la vie, dont elles n’avaient pas la palpitation, ni la mort dont elles ne fixaient pas l’attitude.
Voyant, dans sa pensée, aussi réel que s’il était là, à ses pieds, dans la vallée, un renne au trot, Dankar appuya son poinçon sur un morceau d’ivoire. Il avait un grand espoir, qui lui faisait oublier tant d’autres espoirs déçus. Il allait peut-être, sur ce fragment d’animal, représenter le corps animal qui se mouvait intensément sous ses paupières baissées. Il travailla longtemps, rejeta, reprit, chargea de traits sans cesse recommencés ses plaquettes nombreuses ; enfin, il renonça, découragé. La bête gravée gardait une posture, mais on ne devinait pas que cette posture était, pour constituer le mouvement, précédée et suivie d’une succession de postures insensiblement différenciées les unes des autres.
L’Homme ne regardait pas la nature depuis assez de siècles pour savoir la transposer en lui ; il ignorait, et pour des millénaires encore, comment on peut transformer cette chose extérieure et étrangère qu’est le mouvement des autres êtres en cette certitude intérieure, spéciale aux facultés humaines, qu’est le trait synthétique – forme, volume, densité, action réduits en formule visuelle.
Cette fois encore, Dankar ne s’irrita ni ne désespéra. La fatigue de sa tension nerveuse, une résignation qui percevait l’impossible, le conduisirent à une rêverie plutôt apaisée et consolante. Il s’assit tout au bord de la grotte et laissa ses yeux s’emplir de la sérénité du crépuscule commençant. Auprès de lui, de l’autre côté de la roche éboulée, tout bruit avait cessé. La famille se délassait, silencieuse et quiète. Avant les terreurs de la nuit, les hommes avaient encore à vivre ce long crépuscule de la saison douce. Ils en jouissaient, et leur esprit encore enfantin se refusait à prévoir l’horreur toujours semblable des ténèbres prochaines, les ruses et la férocité de la bête affamée, les embûches de l’homme ennemi.
Dankar rêvait ; et, d’abord, ce furent des sensations immédiates qui dirigèrent son rêve. Les odeurs fines d’arbres en fleurs, les parfums plus lourds et comme sapides des conifères montaient vers lui de la forêt tranquille ; il les aspirait largement, il se délectait à les sentir envelopper son corps nu ; ils lui paraissaient pénétrer en lui et l’emplir d’un bien-être délicieux. La lumière, qui s’atténuait, était comme une caresse sur les choses ; les yeux de l’artiste sauvage, déjà dociles aux suggestions de la couleur, la percevaient telle et transmettaient à la chair son influence. À cause de cette paix heureuse de son corps, l’esprit de Dankar accepta de longtemps envisager certaines pensées chimériques qui l’avaient parfois ébloui d’un vif éclair, mais qu’il repoussait et s’efforçait à oublier, les jugeant comparables aux songes de la fièvre.
Il se disait :
« Le ciel et la forêt sont quelquefois cruels autant que la bête mangeuse de sang ; aujourd’hui, ils sont doux comme nos femmes. Comment peut-on être, tour à tour, cruel et doux ? Les bêtes sont cruelles parce qu’elles ont faim, mais les femelles sont bonnes pour leurs petits ; nous, les hommes, nous sommes cruels pour les bêtes, et c’est aussi pour calmer notre faim, mais nous sommes bons pour nos père et mère, nos frères, sœurs, épouses, enfants. La terre… pourquoi, souvent, tue-t-elle l’homme et la bête, par le tonnerre, par le froid, par l’eau ?… »
Ici, il médita longtemps, au fond de la conscience obscure où les paroles ne pénètrent pas. Puis, une explication lui vint, qui l’épouvanta dans sa pauvre chair animale, mais l’enorgueillit dans son intelligence, où l’hypothèse, source de toutes les sciences, venait d’éclore :
« La Terre, peut-être, est vivante comme nous et elle tue pour se nourrir ? avec les corps qui perdent leur forme par la mort, elle refait les roches et le sable, les arbres et l’eau. Repue, elle a des heures, des jours de bonté… Pour être bon, il faudrait que l’homme n’eût jamais faim, ni froid, ni peur. Comment cela se pourrait-il ? Pour n’avoir pas faim, ni froid, ni peur, l’homme est forcé de tuer l’animal. »
Le meurtre des bêtes passa, en scènes brèves et, changeantes, dans son souvenir. Il vit la chasse aux herbivores qui fuient, la course, les ruses que la réflexion de l’homme oppose aux ruses de l’instinct, l’adresse dans l’emploi des armes, la joie du retour avec la proie lourde qui pèse sur l’épaule, toutes choses dont exultaient ses jeunes muscles robustes et qui annulaient, au moment de l’action, les indécises pitiés s’essayant en lui. Il se rappela l’attaque du carnassier, la lutte de l’homme, faible et intelligent, qui défend sa chair contre la faim de la brute formidable, la terreur qui glace l’échine alors que la sueur du combat ruisselle, les blessures douloureuses, et souvent – si souvent – la victoire du fauve, la mort de l’homme. Et le épouses et les mères qui, d’un regard à la troupe ensanglantée, ayant compté les survivants, crient, crient éperdument, jettent de grandes plaintes aiguës comme si la dent de l’ours ou du tigre arrachait leur propre chair.
« Pour n’avoir pas faim ni froid, pour préserver sa vie, se répétait Dankar, il est nécessaire que l’homme tue la bête. Mais l’homme… ne serait-il point possible que l’homme ne fît pas de mal à l’homme ? »
Son rêve, plus vaste, devint moins précis, mais il s’illumina. Dankar n’aurait pas su le dire à ses semblables dans la pauvre langue qu’ils parlaient entre eux. Ce fut comme une suite d’images lumineuses que l’âme du sauvage, premier-né de la planète, s’en allait chercher très loin sur les plans de l’immense avenir.
« J’aime ceux qui sont là, sous cette roche, auprès de moi : mon aïeule et mes parents, mon épouse, mon petit enfant, mes frères, mes sœurs, leurs enfants, les frères et les sœurs de mon père, ceux de ma mère et les enfants de ces frères et de ces sœurs. Eux m’aiment aussi. Nous chassons et nous travaillons les uns pour les autres ; nous exposons notre vie pour nous défendre les uns les autres. Dans les abris de ces collines que j’aperçois, il y a des tribus dont les membres s’aiment entre eux ; les hommes de ces tribus sont pareils à nous, comme les cerfs et les aurochs sont pareils aux cerfs et aux aurochs. Pourtant, nous sommes ennemis. L’homme attaque l’homme comme il attaquerait la bête, et c’est pour lui prendre la venaison ou les fourrures qu’il avait conquises au risque de son existence, les armes faites au prix d’un long travail. Un temps viendra peut-être – oh ! quand bien des saisons auront passé – où les hommes, qui sont semblables, cesseront de se combattre.
Il nous arrive d’aimer une vierge d’une tribu ennemie. Nous l’emmenons et l’épousons, et elle devient une femme de notre famille ; les enfants que nous avons d’elle sont des enfants de notre tribu. Rien ne semble empêcher que les hommes s’aiment comme ceux d’une famille s’aiment et qu’ils s’aident en tout. Alors, la peur serait bien près de disparaître de la terre ; car les hommes ont l’esprit avisé, et, quand ils seront unis pour chasser la bête mangeuse de chair, la bête sera vaincue. »
La pensée du quaternaire devenait incapable de contenir ce rêve, auquel elle ne pouvait, ni par des comparaisons, ni par des représentations, donner une apparence sensible ; elle renonça.
L’illusion merveilleuse, pourtant, ne s’éteignit pas. Elle s’était réfugiée dans cette partie de l’âme humaine qui n’appartient pas à l’homme et qui plonge dans ce que la conscience limitée appelle le mystère ; Dankar continua d’y participer par des sensations qui venaient de « plus tard, » qui seraient, dans des siècles de siècles, celles de ses descendants.
Dans la lumière du soir, de plus en plus adoucie, il lui semblait cheminer lentement ; une sérénité l’emplissait ; tout lui était ami : le sol et l’air, les bêtes, avec lesquelles il sentait un lien comme si elles avaient été à lui, les hommes dont il souhaitait la rencontre. Et c’était, en ce jeune homme immobile, sous ce ciel d’un printemps primordial, les peuples pasteurs et laboureurs qui vivaient un soir de leurs âges.
Il eut aussi une impression de sécurité très grande, et très inexplicable, car elle s’imposait jointe à la notion de ténèbres glacées, d’ouragan, d’orage ; le civilisé des maisons de pierre, par les nerfs surpris du sauvage, triomphait de la nature dont il savait neutraliser certains maléfices.
Puis, plus étrange encore et ineffable, une émotion gonfla le cœur du quaternaire. Elle ressemblait à celle qu’il avait souvent lorsqu’il regardait son épouse et le petit enfant né d’eux ; mais elle était plus grande, tant et tant de fois plus grande, qu’il ne la reconnaissait plus : sa poitrine se dilatait comme pour aspirer toute l’atmosphère bleue, ses bras s’ouvraient comme pour étreindre l’immensité. Il éprouvait à la fois douleur et joie. L’apôtre, l’homme de charité, d’amour humain, avait tressailli, dans le bimane de la horde isolée, sur la planète encore ennemie.
Dankar, qui, depuis un temps, ne voyait rien autour de lui, peu à peu reprit place dans le réel. Ses regards tombèrent sur les ivoires qu’il avait commencé à graver : « C’est alors seulement, se dit-il, que les hommes sauront faire une image du mouvement de la vie comme je sais faire une image de la forme. »
Il ne comprit pas pourquoi il disait cela. Il n’entrevoyait nullement cet avenir dont il venait de parler avec netteté ; pourtant, il en faisait partie. Les promesses qu’il portait en lui-même le consolèrent mystérieusement de son impuissance à réaliser ce qu’il pressentait être essentiel à l’art : le frisson de vie.
Avec tranquillité, s’appliquant à bien conduire les inflexions des lignes, il acheva, dans la lumière défaillante, la silhouette de son renne au trot.
*
La nuit était close. Sous les étoiles, les rumeurs animales avaient pris possession de l’étendue : rauquements d’amour, cris de guerre et de chasse, plaintes de mort. Dans la caverne, les quaternaires dormaient.
Quoique l’abri ne fût pas situé très haut dans la paroi du roc, les hommes dormaient tranquilles, car les aspérités qui y conduisaient, comme les degrés d’un escalier vertical, se superposaient d’une façon qui semblait les rendre inaccessibles aux bêtes. Aucune surprise jamais n’avait troublé la tribu ; et si les corps frissonnaient quand la voix des fauves traversait leur sommeil, la raison et l’expérience disaient qu’en cette heure au moins l’homme n’avait rien à craindre du mangeur de chair.
La tribu dormait.
La jeune épouse de Dankar avait, à son côté, son petit enfant, enveloppé dans de tièdes fourrures. L’une de ses mains reposait sur le paquet où la douce vie nouvelle respirait ; l’autre était passée sous le bras de Dankar et sa tête s’appuyait sur la robuste épaule de l’époux endormi. Elle dormait, mais continuait de sentir un bonheur qui venait du contact avec les deux créatures aimées. Les heures passaient. Les étoiles, lentement, se déplaçaient au firmament.
Soudain, des piétinements, des halètements tout proches réveillèrent en sursaut les humains. Au long des degrés, les ferrailles s’effritaient sous des agrippements puissants ; la roche crissait, rayée par des griffes qui glissaient et s’accrochaient ; des souffles rauques s’enflaient, allaient jusqu’à un miaulement que l’astuce animale assourdissait aussitôt.
Héréditairement préparés aux grandes terreurs nocturnes, les enfants, qui n’avaient encore jamais connu l’attaque du fauve, en trouvèrent sur leurs nerfs toute l’épouvante ; ils crièrent comme à l’agonie. Ils percevaient aussi l’effroi muet de leurs parents.
En un tumulte qu’affolaient ces cris des enfants, les hommes, quelques femmes cherchèrent à tâtons des armes. Au fond de l’abri, derrière les défenseurs, les mères se tassaient avec les petits qu’elles réussissaient à saisir.
Quelques secondes d’attente, où toutes ces vies se tendirent éperdument vers le désir d’être encore.
À l’entrée de la caverne, visibles sur la nuit noire du dehors, des formes parurent : trois, quatre, cinq, longues, souples, qui prirent pied en se bousculant, s’aplatirent un instant, puis bondirent.
La mêlée fut courte.
Les humains, avec les armes que leur intelligence avait créées, frappaient au hasard, dans l’ombre ; la brute, avec sa force irrésistible, frappait à coup sûr, ses yeux, qui avaient en eux du feu, voyant dans les ténèbres. Les hommes tombaient, déchirés. Dankar, la poitrine ouverte par les griffes formidables, distingua, dans le sombre, les contours de la bête penchée sur lui. Et l’homme mourant, qui allait être la nourriture du fauve, vit au félin courbé une attitude d’écrasement, la posture d’un vaincu. L’espèce, dans l’individu près de s’anéantir, affirmait son devenir ; un grand cri de triomphe acheva de briser la poitrine de Dankar ; il expira.
Tout bruit humain cessa dans la caverne. Les félins dévorèrent longtemps.
Pendant les nuits, au cours des journées, durant des siècles, la grande faune primitive attaqua l’espèce qui savait ajouter au pouvoir de ses muscles la pesanteur, l’élan, l’acuité ou le tranchant des choses.
Il y eut des périodes terribles, où l’innombrable pullulement de la bête parut devoir être vainqueur de l’homme. Des races disparurent. Le nombre des hommes diminua. La question se posait : qui survivra, de la pensée ou de l’animalité ?
Et l’esprit de la planète s’angoissa : aurait-elle, la Terre moite et chaude, enfanté seulement la matière animée destinée à se dévorer soi-même, la matière brute qui ne connaîtra pas la splendeur de son habitat ? Ou bien, total de rythmes apparents et d’harmonies secrètes, sera-t-elle glorifiée dans sa substance par la substance pensante issue d’elle, dans ses lois, par la conscience qu’en aura l’Homme ?
L’Homme répandit à l’angoisse de la Terre. Presque écrasé, il continua les combats. Son intelligence, qui croissait, eut, de plus en plus fréquemment, raison de la force bestiale demeurée constante. La bête, enfin, fut réduite ; et, dans cette aurore des temps, où la configuration du globe était encore instable, entre le danger animal presque conjuré et le danger tellurique toujours présent, le règne humain de l’Homme s’affirma sur la Terre.
II
Maurice Lormier, lorsque, ses études terminées, – de larges et fortes études auxquelles il avait donné toute son intelligence et toute sa volonté – et assez riche pour n’avoir point à chercher le gain, il se demanda quelle serait la direction de sa vie, hésita longtemps. Seule l’attirait une fervente curiosité des destinées humaines, un désir de prévoir comment elles évolueraient vers un idéal de justice et d’harmonie, qu’il se représentait comme leur aboutissement certain. Il souhaitait aussi avec ardeur aider à cette évolution ; et, pendant de longs mois, il en chercha le moyen. Aucune carrière, de toutes celles qui mêlent un homme activement au sort de sa nation, ne lui semblait assez pure. Croyant, il eût fait un prêtre selon le cœur du Christ ; croyant, il n’entrevoyait nulle façon d’aider la masse de ses frères humains.
Ses méditations pourtant finirent par se coordonner. Il en tira une sorte de doctrine, à cause de laquelle il devint littérateur.
« Le Beau, songeait-il, est la figure de l’harmonie, c’est-à-dire de l’état auquel, dans le stade actuel de sa vie, tend l’humanité. Lorsque le Beau, dont quelques-uns seulement cherchent aujourd’hui la réalisation, sera le désir de tous, un pas sera franchi. Des rythmes s’établiront dans les actes humains, qui deviendront concordants. Mais l’harmonie, étant une résultante d’ordre mathématique, ne pourra s’établir dans le monde sensible qu’une fois bien établie dans le domaine spirituel. Or, le Mal est désordre : il perturbe ou détruit ; il devra donc disparaître, et le Bien régner, qui est condition inséparable de l’ordre, autrement dit, de la cause de toute beauté. »
Il se mit à étudier les religions d’amour, le bouddhisme, le christianisme, et reconnut qu’en imposant l’obligation du Bien, elles travaillent, au plan spirituel, à l’évolution de l’humanité vers ses fins d’harmonie. Il les voyait splendides, ces fins excédant les possibilités naturelles ; il accepterait de penser que, dès que l’homme les aura atteintes, la planète, dont il est l’âme, et qui a déjà en sa substance la Beauté, deviendra une sorte d’entité divine. Mais il jugeait insuffisante l’action des religions ; il entreprit d’y joindre celle de l’art, qui la compléterait au plan concret.
Maurice était très frappé par le commandement : « Aimez-vous les uns les autres, » et le croyait propre, quand l’homme saura y obéir sans restriction, à assurer totalement l’harmonie intérieure de l’humanité ; aussi s’appliqua-t-il à chercher le commandement esthétique qui, aussi définitif, réglerait l’harmonie extérieure.
« Le premier, se disait-il, est venu d’une âme divine ; le second doit être contenu dans les lois de la nature. C’est là qu’il faut le chercher. »
Il l’y chercha directement par l’observation, puis par la transcription, en vers et en prose, des aspects de la nature. Il écrivit, scrupuleusement astreint à ne redire que ce qu’il voyait, entendait, constatait, et les impressions comme nécessaires et mécaniques venant de ces perceptions et de ces constatations. Il avait l’espérance qu’ainsi la loi se formulerait d’elle-même, et, subitement, l’éblouirait de son évidence. Parfois, il essayait quelque ébauche peinte, afin de conserver, dans toute sa valeur intrinsèque, le motif d’une impression.
Dans les œuvres des arts visuels aussi, il porta son investigation ; pensant, que, peut-être, l’une des synthèses que les artistes font de la nature et de la vie contiendrait la loi d’harmonie. Et, comme il estimait devoir à l’humanité le résultat de ses recherches, qu’il semblait les avoir entreprises solidairement avec elle, il écrivit ses études d’art. Il fut le critique hautain, qui passe les yeux levés si haut qu’il aperçoit seulement un tout petit nombre d’œuvres. Celles-là, il les vénère comme les espèces eucharistiques où se cache la vérité ; mais cette vérité, pas plus que la chair de l’hostie, les yeux humains ne la discernent encore.
Sous son intelligence très claire, Maurice Lormier avait une sensibilité complexe, pleine de contradictions, d’émotions sans causes définies et plutôt de nature à s’exclure l’une l’autre. Sa mémoire l’opprimait, comme chargée de souvenirs obscurs qui semblaient ne point lui appartenir en propre. Ils se levaient par brusques sursauts, se laissaient à peine entrevoir et retombaient aussitôt dans une brume où il les poursuivait jusqu’à la lassitude extrême, jusqu’à une souffrance de vertige. Certains avaient des précisions qui n’excédaient jamais l’apparition d’une brève image, toujours identique, et une durée de quelques instants. Cependant, l’impression qu’il en recevait se prolongeait dans le vide consécutif, très intense et très pénible parce que cette intensité semblait sans base et que l’intelligence s’irritait de ne pouvoir intervenir lucidement dans le trouble des nerfs.
Des évocations de la vie en certaines époques, la vue de certains objets antiques, des sonorités, des couleurs, des jeux de lumière, des mots ou des phrases d’une langue morte, les mesures de musiques depuis longtemps désapprises par l’oreille humaine l’émouvaient de façon étrange ; il sentait que tout cela le concernait, était une part de son « moi » ; ou, plus exactement, que son « moi » était le total de ces choses, subsistant à côté de son intelligence transitoire, cohabitant avec sa personnalité d’homme moderne.
Quelques paroles d’une chanson du XIIe siècle, murmurées sur un air lent et triste qu’il savait être leur air véritable, éveillaient en lui l’aspect d’une ville du Moyen-Age, dans l’Île-de-France, à l’heure dernière d’un crépuscule d’été très doux, et où des cloches nombreuses sonnaient un office du soir. Des hommes, des femmes, qu’il connaissait, marchaient tranquillement par les rues ; et lui s’en allait, tout fervent, plein d’une joie craintive et extasiée, vers un lieu et vers une créature que tout son effort actuel ne parvenait pas à lui rappeler. Mais l’ambiance persistait avec une saisissante réalité.
Les versets de Job le ramenaient au désert d’Arabie, dans le silence et l’accablement de midi. Il était étendu contre une roche, dans une bande d’ombre étroite ; la réverbération du sable le brûlait comme un feu qui l’eût frôlé en réalité. Il attendait, sans doute en embuscade, le cœur étreint d’une colère ou d’une douleur indicible, un ennemi que jamais, aujourd’hui, il ne parvenait à voir venir sur la piste éblouissante où ses yeux se fatiguaient.
L’émoi le plus violent, il l’avait senti en examinant, dans un village du Sud-Ouest, des objets trouvés dans un abri sous roche des Préhistoriques.
L’abri, qui n’a jamais dû être très élevé, est à présent au niveau du sol. Tout récemment, on en a désobstrué l’entrée, fermée par des éboulements anciens où de vieux chênes étaient enracinés.
Lorsque Maurice Lormier pénétra dans la caverne, un sentiment bizarre l’envahit. Il crut sentir des souvenirs se rassembler en lui, confus, mouvants, s’éclairant par intervalles, retombant dans l’obscurité, comme ces souvenirs du premier âge qu’on ne sait pas avoir en soi et que les lieux où ils sont attachés ramènent peu à peu à la surface de la mémoire. Des liens indéfinissables existaient de lui à l’antre quaternaire.
Dans la partie vaste de la cavité, il n’y avait rien, que quelques restes de charbons ; elle avait dû, avant d’être murée par la chute des pierres, servir à bien des nomades depuis qu’y avait vécu l’ancêtre. Mais, dans une alvéole étroite, où les effondrements s’étaient produits dès les temps primitifs, on venait de trouver des couteaux, des grattoirs, des poinçons en silex, des ivoires et des os gravés.
Les paysans qui fouillaient dirent à Maurice, en lui tendant les plaquettes :
« Ça été fait, dans les temps, par des espèces de sauvages, et voyez comme c’est déjà bien fait. On reconnaît tout : des chevaux, des cerfs, des bœufs, des éléphants. Les bœufs et les éléphants sont un peu drôles, pas tout à fait pareils à ceux de maintenant, mais sans doute qu’ils étaient comme cela… dans les temps. »
Maurice eut les os gravés entre les mains et une immense émotion le secoua ; il sentit comme une grande vague psychique venue du fond de l’antérieur battre contre son âme. Avec ces pauvres objets, graphiques d’un rêve si lointain, il se sentait un rapport ; au vaste poème humain que concevait si clairement sa pensée, ces balbutiements se rattachaient… Leur contact matériel, en même temps qu’il lui semblait familier, lui donnait ce frisson profond qui vient de la mort et du mystère. Une silhouette de renne au trot, essayée, abandonnée, recommencée sur plusieurs plaquettes, enfin achevée sur un ivoire épais, lui parlait de façon intense. Dans ses lignes, il percevait un grand effort d’idée, un grand rêve qui était sien. Il acquit la plaquette, et, rentré chez lui, dans son atelier de Neuilly, d’instinct, il la plaça parmi ses propres ébauches. Et chaque fois qu’il la touchait, la même émotion immense, informulable, s’emparait de lui.
*
Ce jour d’été était splendide, lourd, immobile. Dans sa grande lumière égale, la durée semblait suspendue. Il flambait sur Paris, dont la rumeur s’atténuait en lui jusqu’à devenir ce murmure berceur, cadencé sur deux temps, que Maurice Lormier entendait dans son jardin de Neuilly.
Les marronniers épais faisaient une ombre dense, qui restait claire de la puissante clarté environnante ; une fauvette jetait, de temps à autre, quelques notes saccadées, puis se taisait comme accablée ; le parfum des roses, des lis, des chèvrefeuilles chargeait l’air comme d’une impalpabilité pesante ; le silence, doux aux nerfs et à la pensée, semblait nécessaire, dû à la présence despotique de la lumière. Seules les couleurs chantaient, surexcitées, elles, par cette lumière qui les prenait toutes et s’en augmentait : rose des roses en cascades qui coulaient au long des murailles ; rouge agressif des géraniums en collier autour du pelage vert des gazons ; blanc des lis, si blancs qu’ils paraissaient avoir un rayonnement intérieur ; et, dans la pénombre de l’atelier dont la baie était ouverte, scintillements sans formes qui éclataient çà et là sur le vêtement doré d’un grand saint de bois, sur le cuivre d’un vase, l’émail d’une faïence, la ferrure d’un meuble.
À cette vie des couleurs, exaltante et qui a l’air passionnée, Maurice habituellement attentif, restait indifférent. Il ne voyait pas sa vibration, non plus qu’il ne sentait la caresse, comme tactile, et si subtilement sensuelle, des effluves végétaux. Il regardait au-dedans de lui, et ce qu’il y apercevait n’était ni brillant ni doux. Une déception d’amour venait de le meurtrir. Une déception bête et banale, et qu’il reconnaissait telle. Il avait imaginé une âme à une poupée faite d’une chevelure rousse et d’un chapeau immense, d’épiderme poudrederizé et d’une robe étroite. Durant un temps, il avait vécu sur cette illusion ; puis il avait découvert tout à coup que la poupée n’avait point d’âme, mais seulement un mécanisme méchant qui griffait le cœur et le cerveau des hommes.
Le mal était d’hier, Maurice y réfléchissait sans trêve, et ses réflexions finissaient par aller bien au-delà de leur cause :
« Alors, se disait-il dans la belle lumière d’été, le Mal serait instinctif, il ferait partie de l’organisme humain ? »
Une détresse le courbait, lassé, détendu, dans un renoncement douloureux comme devant la certitude d’un malheur. Mais, bientôt :
« C’est impossible, sans quoi l’idée du Bien ne serait jamais née. Elle est en nous, c’est indéniable ; et elle y est pour croître, atteindre à son plus haut point, comme toutes nos autres facultés. Elle est en retard sur les autres, ceci aussi est indéniable ; mais c’est parce que la lutte que l’Homme a à soutenir contre son habitat la comprime, tandis que cette même lutte exalte les facultés plus directement actives. Quand celles-ci auront aménagé la Terre pour la vie facile à tous, clémente à tous, celle-là fleurira merveilleusement. Au long de l’histoire humaine, on suit les progrès qu’elle fait. La notion du Bien, du Juste, jadis réservée à quelques-uns, à une rare élite, est passée de l’individu à la secte, de la secte à la masse. Les religions ont instauré le commandement de fraternité humaine ; voici qu’elle est en train de devenir un fait par ce vouloir de paix qui est dans tous les peuples du monde. Quand tous les peuples auront compris que leur meilleur destin serait de s’aimer, de se servir entre eux loyalement comme les membres d’une même famille, le règne du Bien sera proche… Peut-être faudra-t-il attendre ce temps pour connaître le commandement impératif de l’harmonie. »
Cet espoir que, malgré tout, il connaissait indestructible en lui, intégré à son existence même, lui rendit un peu de paix. Il laissa se poser sur son cœur, comme un baiser consolant, la sérénité de l’heure.
Les jours qui suivirent, et qui furent aussi de lumière et de calme, continuèrent l’œuvre de guérison. Maurice, avec une volonté patiente, arrachait de sa pensée le petit être méchant, plante humaine mal venue et en retard sur la saison de la planète.
Convalescent du mal que la femme lui avait fait, mais tout délivré d’elle, il resta quelques semaines isolé. On le crut en voyage, son caprice des départs subits étant connu de ses amis, et personne ne vint troubler sa solitude.
Enfermé dans son jardin, dont les murs élevés disparaissaient sous le ruissellement somptueux des roses, il suivait, dans la splendeur de la lumière, parmi les parfums, dans la douceur inquiète des nuits lunaires, son rêve merveilleux. Il vivait à côté de la vie, par-delà les siècles entassés de l’avenir, dans un monde rédimé du mal par l’homme lui-même, un monde où s’était établi le règne divin de l’Homme.
*
Et, subitement, ce fut, à ce sommeil délicieux que le beau rêve enchantait, un réveil effroyable.
La Germanie se jetait sur l’humanité. À nouveau, les destins de l’espèce étaient remis en question : la horde restée en arrière de révolution anémique allait-elle détruire les races évoluées ? le règne de la force matérielle menaçait-il la planète ?
Les nations, surprises dans leurs labeurs de paix, jetèrent leurs outils et prirent leurs armes. De tout l’instinct des hommes qui luttèrent contre la faune primordiale, de toute leur intelligence, de toute leur conscience civilisée, elles voulaient se défendre et défendre en elles l’avenir. Les individualités les plus simples discernaient dans leur cœur ce vouloir et l’agréaient.
Maurice Lormier partit dans les premiers jours de la mobilisation. Il partait avec un grand élan, avec le désir immédiat d’action, l’enthousiaste et orgueilleuse colère d’un héros primitif courant au corps à corps avec l’hydre. Le guerrier intégral des humanités disparues, celui qui, sans repos, luttait contre la bête, contre l’homme, pour sa vie, reparaissait dans l’être d’extrême affinement. Lui-même fut un peu étonné de la préséance prise par ce double sur le « moi » qu’il se connaissait.
Une semaine après, par une nuit très noire, chaude et électrique, le caporal Lormier allait en reconnaissance, avec quatre soldats, en avant des lignes. Les cinq hommes se glissaient, à mouvements discrets, dans de jeunes taillis sur la pente d’une colline basse. Incapables de voir à travers l’obscurité presque totale, ils écoutaient, la respiration contenue, et les nerfs tellement tendus qu’il leur semblait écouter avec tous leurs sens. Ils avançaient pas à pas, s’arrêtant longtemps quand l’un d’eux avait heurté une souche ou froissé une branchette.
Tout à coup, il se fit, à leurs pieds, un subit et brutal remuement. Comme surgissant de la terre où elles étaient aplaties, des formes se dressaient, nombreuses, bondissaient sur eux. Assaillants et assaillis s’étreignaient, se frappaient dans l’ombre sans bruit, chaque parti redoutant d’attirer des secours à l’ennemi.
Maurice fut renversé par un Allemand, qu’il entrevoyait massif et haut. Une rapide douleur lui coupa le souffle, puis il étouffa, la bouche pleine de sang. Un couteau lui avait ouvert la poitrine. Il comprit qu’il mourait. Le corps de l’homme pesant sur lui, acharné à le frapper encore, lui parut celui d’une bête qui convoitait de la chair humaine ; il eut le frisson éperdu de l’être qui se sent devenir une proie. Ni la douleur de la blessure, ni la qualité de son angoisse ne lui furent nouvelles. Elles étaient des sensations qu’il reconnaissait. La bête l’avait déjà déchiré… Et, brusquement, son esprit, presque privé maintenant des guides sensoriels, agit hors du temps que nos courtes possibilités mesurent.
Des millénaires de millénaires s’abolirent. La Terre fut jeune, toute tressaillant encore de son premier enfantement humain. L’Homme nouveau-né s’émerveillait de découvrir en soi l’intelligence ; mais sa substance frissonnait dans la menace d’un danger constant.
– Un danger s’efforçait de préciser le rêve vacillant du mourant, un danger… « qui est là ?… Oui… le danger… celui contre lequel je viens de combattre, qui me tue : la bête, la bête dévoreuse de chair qui pense. »
Et il aperçut, autour de lui, les multitudes de la Bête : elles étaient innombrables. La Terre les produisait sans arrêt, comme la source produit le fleuve. Du sol, des rochers, des arbres, elles sortaient, adultes et féroces ; elles rampaient, rugissaient, bondissaient, précédées de la chaleur de leur souffle, de l’odeur écœurante et terrible de leur force. Elles avaient toutes les formes des mangeurs d’hommes : tigres, lions, ours, loups, chacals, hyènes.
Certaines bêtes, que Maurice pressentait plus redoutables encore, se tenaient dans un vague où il les discernait mal ; elles montraient de confuses apparences d’hommes, mais de grandes fumées, des éclats de tonnerre les environnaient… Et celles-là lui semblaient ennemies plus effroyablement que les fauves, parce qu’il ne comprenait pas pourquoi elles voulaient tuer. La nuit s’épaississait ; une nuit qui durait depuis des siècles et qu’il subissait, haletant et torturé. Dans les ténèbres, parmi des clameurs et des râles, la Bête dévorait l’Homme. L’humanité allait s’anéantir et le grand fauve rester seul maître de la Terre. Un déchirement indicible se fit dans le cœur de l’agonisant. L’homme mourant sentait mourir en lui l’espèce. Il s’abandonna, prostré, et les images cessèrent d’affluer dans son cerveau.
À cet instant, des fusées successives jetèrent leurs lueurs sur ce petit coin de l’immense horreur. Les bêtes d’ombre s’effrayèrent. La clarté sur elles, c’était la menace : fusillade ou marmitage. L’instinct de se tapir, dont la guerre a fait une habitude nécessaire, jeta les Germains à plat ventre, les colla sur le sol, à côté des Français morts ou mourants.
Maurice les vit.
Il touchait à la fin de son agonie.
Alors, le geste de ces soldats n’eut pas pour lui son sens véritable ; sa pensée ne savait plus rien du présent ; les fantômes du plus insondable antérieur humain et les espoirs récents qu’il avait mis en l’avenir des races se confondirent dans son rêve suprême.
Parmi les ténèbres, où la dent de la Bête avait paru achever de broyer la pensée, une grande lumière pénétrait. Elle refoulait l’ombre aux confins du ciel ; et Maurice connut que, partout, jusqu’aux extrêmes lointains, la créature de meurtre gisait terrassée, dans la posture des vaincus. Alors, lui, la victime, il exulta d’une joie infinie, car il eut la certitude que les temps du Mal étaient révolus, et que, dans cette aurore éblouissante qui se levait, le règne divin de l’Homme commençait sur la Terre.
Son cri de mort fut une clameur longue, claire, chantante, la clameur du triomphe.
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(Léon de Saint-Valéry, in Revue politique et littéraire, revue bleue, cinquante-huitième année, n° 2, 24 janvier 1920. Illustration de Zedněk Burian, « Étude d’un artiste préhistorique, » 1958 ; aquarelle d’Alphonse Robine, « Le Poilu de Verdun, » juillet 1916 ; « Der Krieg » [La Guerre], panneau central du triptyque d’Otto Dix, 1929-32)